Le livre d’Edouard d’Espalungue, Benoît XVI, l’héritage. Regards croisés sur un pontificat, fournit un excellent compte-rendu de la période allant de 2005 à 2013 durant laquelle Benoît XVI fut pape. Pour l’ex-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, la charge fut immense, peut-être trop lourde à porter comme en témoigne sa décision le 11 février 2013, à l’issue d’un consistoire public ordinaire, d’annoncer, en latin, sa renonciation pour le 28 février. Il la justifia par un manque de « vigueur qui s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié ». Il se retirera au monastère Mater Ecclesiae, qui se situe dans les jardins de la cité du Vatican.
Qu’y a-t-il de compliqué chez Benoît XVI ? Sa relation avec le monde juif était très particulière, en raison de ses origines allemandes, qui renvoyait le pape à sa jeunesse vécue durant la seconde guerre mondiale, sous Adolf Hitler. Pouvait-on le suspecter de ne pas faire assez pour tendre la main aux juifs du monde entier ? A-t-il su trouver les mots et les gestes comme a pu le faire, en son temps, Jean-Paul II ?
Pour le rabbin Yeshaya Dalsace, la réponse est négative : « Dans son discours prononcé à Auschwitz I (et non à Birkenau véritable centre de l’extermination des Juifs d’Europe deux kilomètres plus loin), le 28 mai 2006, il fut malhabile et passa sous silence la spécificité juive dans ce lieu de l’horreur. Comme Allemand, il sembla plaider pour amoindrir la responsabilité de sa nation ». Il ajoute ensuite : « Il se lança ensuite dans une difficile procédure en béatification de Pie XII, béatification qui ne peut que révolter le monde juif. De notre point de vue, Pie XII, par ses silences et ses mesures minimales, incarne, non la complicité, mais une certaine indifférence et surtout une faillite de la morale humaine qui face à l’ampleur de l’événement se devait de réagir en conséquence ».
La diversité, au cœur du projet d’Edouard d’Espalungue
Pourtant, ce qui impressionne avec ce livre, c’est la diversité des témoignages. On compte pas moins de trois prêtres, un de la fraternité Saint Pie X, un de l’Opus Dei, et un autre de la société Saint Vincent de Paul. Un imam, un rabbin, un évêque orthodoxe, un protestant, mais aussi un philosophe, professeur de la Sorbonne, viennent compléter cette assemblée peu commune. On comprend que c’est finalement une sorte de dialogue qui se crée entre ces hommes qui ont tous écrit sur la personne, l’héritage intellectuel, spirituel et médiatique de l’ex-pape. Le bilan est à la mesure de la diversité des profils : certains regrettent qu’il n’y ait pas eu assez de démonstrations d’amitié quand d’autres adressent au contraire un satisfecit à Benoît XVI.
Edouard d’Espalungue : « J’ai noué depuis plusieurs années des contacts amicaux avec différents courants de l’Eglise »
L’abbé Bernard Massarini de la Société Saint Vincent de Paul se réjouit ainsi de son rapport à la culture européenne et chrétienne : « Dans son discours aux Bernardins, il a redit que le dynamisme de la culture européenne s’inscrit dans la longue histoire des monachismes qui sont parvenus à transmettre une culture, non pas en ayant comme finalité cet objectif, mais en déployant seulement la recherche de Dieu, des fins dernières, du sens des choses, avec les moyens de leur époque ».
L’abbé Claude Petit-Delmas souligne lui, le rôle de leader de l’ex-pape au sein de l’Eglise, « un père soucieux de ses enfants, un pasteur soucieux de ses brebis » et son sens des responsabilités lors de sa décision de démissionner : « Comment ne pas reconnaître une profonde humilité alliée à un grand courage dans sa renonciation ? Là aussi, la clarté de son jugement concernant sa responsabilité vis-à-vis du peuple de Dieu me semble amplement confirmée ». Il souligne enfin, à contrario du rabbin Dalsace, l’avis positif qu’avait Richard Prasquier, président du CRIF, sur le pape Benoît XVI : « Mû par sa ferveur chrétienne, mais aussi par son exceptionnelle connaissance des textes, Benoît XVI a approfondi encore le sillon de confiance et de fraternité tracé par ses prédécesseurs à la suite du concile de Vatican II, qui a provoqué une transformation complète des relations entre Juifs et catholiques ».
Edouard d’Espalungue, acteur clé du dialogue entre le pape Benoît XVI et la fraternité Saint Pie X
Avec l’abbé Philippe Toulza, c’est toute la pensée, la théologie défendue par la fraternité Saint Pie X qui apparaît en filigrane. À la fois bienveillante à l’égard de l’ex-pape, vu comme un allié dans la lutte contre le relativisme, mais aussi dubitative vis-à-vis d’un Joseph Ratzinger jugé parfois trop timoré. Dans son passage sur le relativisme, l’abbé Toulza écrit : « La sécularisation ne va pas sans le relativisme : l’un et l’autre s’épaulent dans un jeu subtil. Benoît XVI a souhaité porter des coups de boutoir contre le relativisme. Tout le monde a en mémoire l’homélie de la messe pro eligéndo pontífice, le 18 avril 2005, au cours de laquelle le cardinal Joseph Ratzinger – qui allait être élu le lendemain – a prononcé ces mots : ‘Posséder une foi claire, selon le Credo de l’Église, est souvent défini comme du fondamentalisme”’.
Plus loin cependant, il regrette que « certaines initiatives pontificales ont hélas apporté beaucoup d’eau au moulin du relativisme : celles qui relèvent de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux ». Ainsi, les autres religions, si elles ont effectivement un intérêt sur le plan de l’étude théologique, ne devraient en fait pas être considérées comme porteuses d’une vérité alternative. Le relativisme consistant à considérer chaque religion relativement à une autre aurait donc l’inconvénient de mettre sur le même plan des fois qui ne le sont pas ; un travers souvent ici reproché au dialogue œcuménique.
C’est donc grâce à Edouard d’Espalungue que l’on doit la publication de ces textes rares qui, de par leurs différences théologiques, permettent aux lecteurs de mieux appréhender la diversité et l’originalité du dialogue œcuménique, du pontificat de Benoît XVI jusqu’à aujourd’hui.